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« Nous ne sommes pas des écrivains de seconde zone »

 

Djaïli Amadou Amal. Auteure de 3 romans dont le 1er traduit dans plusieurs langues, la romancière de 44 ans  vient de remporter le Prix Orange du livre d’Afrique. Depuis près de 20 ans, elle est l’une des rares écrivaines localement publiées à s’imposer ainsi sur la scène internationale. Entretien. 


 

 

 Comment avez-vous accueilli votre sacre au Prix Orange du Livre en Afrique le 22 mai à Yaoundé ?

J’ai accueilli cette récompense avec un sentiment de fierté et de grande joie. J’ai été submergée par l’émotion.  Quel plaisir et quel honneur d’en être la première lauréate ! Ce prix est une bonne initiative et je suis contente qu’il existe. Nous qui écrivons en Afrique, avons parfois le sentiment de ne pas être pris en considération. Comme si nous étions des écrivains de seconde zone. Autre motif de joie, c’est l’assurance que le message de mes livres, en faveur d’une meilleure considération des droits des femmes au Cameroun a été attendu et apprécié dans le monde. Un profond sentiment de gratitude, envers la vie et le très-haut m’habite également. Rien ne préparait et ne prédestinait l’enfant de Maroua que je suis à un tel parcours. C’est la preuve que la société camerounaise, africaine doit donner la même égalité des chances à tous ses enfants.

 Pendant longtemps,  les écrivains eux-mêmes ont pensé qu’il fallait être publié par une maison française pour se faire connaître. Votre roman, « Munyal, les larmes de la patience », a été écrit au Cameroun et édité par une maison locale en 2017, les éditions Proximité. Donc le succès peut se construire à partir de n’importe où ?

Effectivement. Vous savez, je n’ai jamais envoyé un manuscrit en Europe. Depuis le début, j’ai toujours écrit ici au Cameroun. Et j’en suis fière. Mon souhait était de faciliter l’accès des populations aux livres avec des romans vendus à des prix accessibles au camerounais moyen. D’autre part, être édité par une maison locale participe à faire vivre notre littérature nationale. Nous avons des grandes maisons d’édition. Les conditions d’impression s’améliorent.  Certaines imprimeries camerounaises disposent d’un matériel de pointe. Je pense aussi que le mythe de l’occident a été entretenu parce que certains auteurs aiment critiquer. Ils disent :   Oui mais, les maisons d’édition camerounaises ne font absolument aucun travail. C’est dommage. Car il arrive qu’un auteur publie au Cameroun parce qu’il n’a pas trouvé ailleurs.  Et souvent la qualité  n’est pas au rendez-vous. Chaque écrivain doit pouvoir avoir un bon éditeur. Depuis « Waalandé ; l’art de partager un mari » en 2010,  je travaille avec le même éditeur. François Nkémé a réalisé un énorme boulot. Il a porté mon travail comme une mère porte son enfant (sourire). Les résultats ont suivi. Mon parcours est encourageant pour les jeunes écrivains, les éditeurs. J’adore écrire ici au Cameroun et animer notre scène littéraire.

 L’environnement du livre au Cameroun n’est pas le plus facile. L’étroitesse du marché, la piraterie éditoriale menacent le travail des auteurs. Vous, vos livres ne sont pas seulement salués par la critique, ils sont aussi des succès en librairie. Comment avez-vous réussi à vous imposer ?

 Sans doute j’ai vite compris mon environnement et me suis rapidement adaptée. Et si j’ai un conseil à donner aux jeunes écrivains, c’est de ne pas dormir au premier banc. Se dire : bon, j’ai écrit mon livre le reste, c’est à l’éditeur, au distributeur de s’en charger. Cette façon de faire marche peut-être ailleurs. Dans ces pays, où le marché du livre est très bien organisé, Où les gens ont une grande culture du livre de loisir. Mais en Afrique, selon ma modeste expérience, il en va autrement. Il faut s’impliquer pour que le lecteur ait envie d’acheter votre livre, qu’il sache le livre disponible. Pour cela, l’écrivain doit donner du sien. Il faut que l’auteur s’implique à côté de l’éditeur. Avec l’accord de mon éditeur, je me suis placée sur le terrain de la communication. Je me suis rendue disponible partout sur le territoire national, j’ai rencontré les  médias d’ici et d’ailleurs. J’ai eu des retours des premiers lecteurs. Ils ont ensuite parlé de mes livres autour d’eux. C’est tellement facile aujourd’hui de faire la communication. Nous avons les réseaux sociaux : Facebook, Twitter qui facilitent ce travail..

Quel rapport avez-vous justement avec votre public camerounais ?

 Je suis en perpétuel contact avec mes lecteurs. Vous savez, mes actions ne se  limitent pas qu’à l’écriture  des romans. Je suis à la tête de l’association « Femmes du Sahel », créée au lendemain de la sortie de mon premier roman. Notre champ d’intervention porte sur l’éducation de la jeune fille, la sensibilisation des familles sur l’importance de l’instruction pour tous, l’autonomisation des femmes. Pour ce qui est de l’éducation, l’association a conçu un système de parrainage qui permet de prendre en charge la scolarisation de certains enfants. Nous faisons beaucoup de causeries éducatives. Nous allons dans les lycées, les collèges ou nous apportons des livres. Nous avons créé des bibliothèques pour les populations et  je discute avec tout le monde : les enfants, les jeunes et les adultes. Vous me verrez aussi dans les cafés littéraires, les ateliers d’écriture avec les élèves. Chaque année, j’organise une dédicace quelque part. Tout ce travail a permis de gagner la confiance du ministère des Arts et de la culture. Il me sollicite beaucoup pour représenter le Cameroun à des salons, des foires du livre. J’aime le contact avec les lecteurs.

Dans « Munyal, les larmes de la patience », l’histoire se passe à Maroua dans l’Extrême-Nord. Avec de nombreux clins d’œil à votre langue maternelle, vous décrivez la vie dans des familles peules. On dira donc que c’est la culture peule qui nourrit votre plume ?


Oui ma plume se nourrit de ma culture. J’éprouve  un grand plaisir à balader le lecteur dans cet environnement qu’il connait peut-être. A lui faire découvrir les us et coutumes d’une région donnée. C’est aussi cela le rôle de la littérature. Je parle du Sahel camerounais car, c’est la zone que je connais ll mieux. Il s’agit aussi de faire connaître les problèmes qui se posent dans mon environnement. Dans le Grand Nord, la condition de la  femme est encore dramatique. Mon livre parle de mariage forcé, de viol, de violences faites aux femmes, de déscolarisation des filles. Ce n’est pas un roman qui prône la révolte mais plutôt l’émancipation, la participation. Il n’est pas bon que la femme soit opprimée. Elle doit pouvoir s’exprimer. Mon livre vise à susciter un débat pour que les choses s’améliorent en faveur des femmes..

Justement. Dans votre  roman, un de vos personnages affirme : «  Le paradis de la femme se trouve aux pieds de son époux ». Comment votre combat  pour l’émancipation de la femme est-il perçu  à Maroua, votre ville natale ?

 Pas très bien. Dans ma culture, une femme ne se lève pas pour parler en public. Encore plus sur des sujets tels que le mariage, les droits des femmes. Chez nous ce sont les hommes qui organisent les mariages, les femmes n’ont rien à dire. Tout ce qu’elles ont à faire c’est accepter les choix des pères et oncles et supporter. On m’a reproché de ternir l’image de notre culture, de la religion.  Pourtant notre religion permet l’instruction.

 « Munyal, les larmes de la patience », c’est un roman qui submerge par le lecteur d’émotion. Hindou, un de vos personnages clés perd la raison à cause des violences morales et physiques subies….


J’ai eu beaucoup de difficultés à écrire ce livre. Parlez de violences faites aux femmes lorsqu’on en est une ce n’est pas facile. J’ai dû puiser en moi pour décrire ces scènes de viol, de bastonnade. L’objectif est de toucher le lecteur, le sensibiliser car quoiqu’on dise le thème des violences basées sur le genre reste d’actualité. Vous le voyez lorsque mon personnage dit : « Le paradis de la femme se trouve aux pieds de son époux ». Moi, je ne partage pas ce point de vue. La femme n’est pas une esclave. C’est une compagne d’où l’importance de la sensibilisation.

 « Munyal, les larmes de la patience », ce n’est pas qu’un livre pour les femmes. Il s’adresse aux pères, aux frères, aux oncles, aux époux ?

Oui.C’est un roman qui concerne la famille. Il s’adresse aux autorités. Lorsqu’on parle de mariage précoce et forcé au Cameroun, il faut savoir que la loi autorise le mariage de la fille à partir de 15 ans mais pas pour le garçon. Et ce sont ces lois qu’il faut changer pour garantir les droits de la fille. Mon livre interpelle les autorités parce que lorsqu’une femme dans un commissariat porte plainte contre un mari violent, elle est tout de suite pointée du doigt. C’est elle la fautive. On ne lui prête pas une oreille attentive. L’aide qu’elle est venue chercher ne lui est pas accordée. En gros, ce livre interpelle au-delà du cercle familial. Il faut que tout le monde prenne conscience de la gravité de la situation. Des femmes se font tuer sous les coups de maris violents qui ne sont pas inquiétés par la police. Quelque part, chacun de nous est complice de cette violence. Parce qu’on a tous entendu le voisin taper sur sa femme mais on s’est dit : c’est leur problème.

 En plus du prix Orange du livre en Afrique, vous avez remporté le prix presse panafricaine de la littérature. Le prix du livre va-t-il changer ?

 Non ! ça c’est sûr il coûte 5000 F Cfa. Je pense même que ce sera le contraire. Avant sa sélection au Prix Orange du livre en Afrique, «  Munyal, les larmes de la patience », a été choisi par l’alliance des éditeurs indépendants pour être édité dans onze pays d’Afrique dans une collection.  Le  sera vendu à 2500 ou 3000 F Cfa.

 Nous avons appris que vous préparez votre 4ème roman. Quel en sera le thème ?

 Oui je travaille sur un manuscrit. Quant au thème, c’est une surprise. Mais je reste dans le couloir de la littérature engagée.

 Propos recueillis par Elsa Kane

 

 

 

 

 

 

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