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Le combat des mères seules


Familles. Veuves, divorcées, célibataires, elles doivent seules répondre aux besoins affectifs, financiers,. Certaines n’ont pas de revenus et doivent parfois composer avec le regard critique de la société.


6h dans un domicile à Nkolndongo, un quartier populeux de Yaoundé.  Valérie Etoundi, 43 ans, prépare le petit déjeuner de sa  famille d’une main experte et rapide. Elle est bientôt rejointe par Christophe, son fils, adolescent, et aîné de la famille. Le garçon  s’occupe de diverses tâches ménagères avant de réveiller ses deux  cadets. Bientôt, la maison se remplit de voix d’enfants se préparant pour l’école. La maman s’occupe du plus jeune et  l’aîné  de son cadet.
Pendant que les enfants avalent rapidement leur bouillie de maïs, Valérie en profite pour prendre une douche et se préparer pour le travail. Puis tout ce petit monde s’en va pour la journée. Dans la maison, aucune présence masculine n’est visible. « Je vis seule avec mes trois enfants », explique Valérie d’une voix posée.
Veuve depuis 14 ans,  Valérie est vendeuse ambulante d’ananas. C’est de cette activité qu’elle tire l’essentiel de ses maigres revenus. A la mort de son mari en 2000,  la quadragénaire et les siens ont dû quitter le deux-pièces qu’ils louaient pour une habitation encore plus modeste.  En fait de maison, il s’agit d’un studio fait de planches. La maman partage l’unique chambre avec sa fille et ses deux garçons. Les toilettes à la turque sont situées à l’extérieur. Valérie est chef de famille. C’est elle qui a la charge de ses trois enfants.
Des battantes
Son histoire n’est pas un cas isolé. Alors que le Cameroun s’apprête à célébrer la fête des mères de concert avec la communauté internationale, le sort des mères chefs de famille préoccupe.  D’après  le rapport 2011 de l’enquête  démographique et de santé et à indicateurs multiples (Eds-Mics),  le Cameroun comptait à cette date 26% de mères seules. Le phénomène ne cesse d’augmenter et est très courant en zone urbaine. L’Eds-Mics  précise à cet effet que la proportion des femmes chefs de ménage est passée de 23,8% à 25, 6%  entre 2001 et  2008.  Si 87% de ces femmes sont actives, il reste que la vie n’est pas du tout rose pour elles.
Photo d'archives
Pour  Rose Wenci, la rentrée scolaire et les fêtes de fin d’année sont par exemple des  périodes de grand stress. «  A la mort de mon mari, je me suis retrouvée  avec 6 enfants  dont le plus jeune avait 2 ans. A l’époque, je m’en sortais quand même grâce à mon travail d’institutrice. Mais depuis 7 ans, je suis à la retraite. Je me bats avec ma petite pension-retraite », explique  Rose qui regrette de ne plus avoir la force de ses 20 ans pour se livrer à  d’autres activités. Une option qu’Anne Tioyo, 38 ans, n’a pas hésité à prendre. La fonctionnaire s’est  lancée dans la confection des draps qu’elle revend aux amis et connaissances. L’argent ainsi gagné sert à payer la scolarité, les loisirs, les vêtements aux enfants.  Cours d’anglais au centre pilote linguistique, abonnement  dans les bibliothèques, elle ne lésine sur aucun moyen pour  offrir le meilleur à ses enfants. « Ils vont dans de bonnes écoles. Je veux qu’ils aient une vie normale comme  les autres», explique la chef de famille qui  ne veut surtout pas échouer dans l’éducation de ses enfants.
Certaines  femmes seules, par peur d’être traitées de mauvaises mères, s’investissent énormément dans l’éducation des enfants. Et quand survient  un obstacle, elles le  vivent comme un échec personnel. C’est le sentiment qui  a longtemps accompagné Jacqueline, mère de 4 enfants  (2 filles et 2 garçons), tous adultes aujourd’hui. « A un moment donné, je me suis retrouvée avec des adolescents en pleine crise qui me questionnaient parfois sur notre situation. Mon deuxième fils a été le plus rebelle. Il s’est mis à faire l’école buissonnière malgré l’intervention de ses oncles », raconte Jacqueline qui se sent toujours  un peu coupable de cette dérive. Un sentiment largement partagé par certaines mères. Il arrive qu’une tension survienne dans la famille parce qu’elles doivent répondre seules  à plusieurs demandes affectives et financières.
« Plus jeune, j’avais tendance à comparer notre rythme de vie à celui des autres en pensant que ma mère ne faisait pas assez. Un jour, j’ai compris que ce n’était pas facile pour elle. En plus de son travail, de ses activités sociales, de son rôle d’aînée de la famille, elle devait surveiller nos devoirs, nous redonner confiance en cas de doute, essuyer nos chagrins, veiller sur nous pendant la maladie, se transformer en mère fouettarde en cas de bêtises, etc. J’ai compris que ma mère c’est aussi mon père», raconnaît Ségolène, 30 ans, qui a pris conscience sur le tard que  sa mère a dû  renoncer à  des opportunités comme refaire sa vie pour l’aider à grandir.
Tu sors encore ?
Confrontées à  un rythme de vie intense ou par peur de briser un équilibre familial acquis au prix de nombreux sacrifices, certaines mères seules renoncent parfois  à refaire leur vie ou alors vivent des amours compliquées. Anne Tioyo a bien essayé : «Mais à force d’entendre des “tu sors encore?”, j’ai mis un terme à ma relation. Pour autant, je n’ai pas  encore mis une croix sur ma vie de femme », dit-elle.  Contrairement à Jacqueline qui  ne souhaite plus se mettre en couple. «Depuis 10 ans,  mes enfants et moi sommes bien. Ils ne manquent de rien.  Nous formons une petite famille unie et heureuse».

Elsa Kane

.“C’est parfois un choix de vie”
Mohamed Njoya Mama. Pour le sociologue,  le phénomène des mères seules traduit le changement d’une société où le mariage n’est plus vraiment sacré.

Le nombre de familles monoparentales ne cesse d’augmenter au Cameroun.  Un grand nombre de ces ménages sont dirigés  par des femmes. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
L’augmentation vertigineuse du nombre de familles monoparentales traduit un changement du vécu de la situation familiale qui est désormais assumée tant par les individus que par la société dans son ensemble. Par le passé,  les femmes se retrouvaient à la tête d’une famille suite à des déconvenues de la vie telles que le divorce, le décès du conjoint ou encore des cas de grossesses accidentelles. Mais tel n’est plus le cas aujourd’hui. Le phénomène de mère chef de famille est devenu un mode de vie, un choix de vie. Remarquez que selon nos cultures et religions, l’enfant naît dans le cadre d’une famille dont le père et la mère sont les principales figures quotidiennes. Mais désormais, les jeunes tout comme des personnes d’un âge relativement avancé prennent l’option de procréer nonobstant l’inexistence d’un cadre familial, la famille nucléaire notamment. Cependant, si l’option de la famille monoparentale s’est généralisée, le principe de la constitution d’une famille dont le père, la mère et les enfants sont les principaux membres n’a pas encore disparu des coutumes.
Certaines de ces  femmes sont des mères célibataires. D’autres ont vécu longtemps dans une union libre. Au regard des faits, peut-on dire que le mariage n’a plus trop d’incidence sur la formation de la famille ?
En effet, votre question permet d’étayer les observations  exposées plus haut. Le mariage est une union, un engagement à vie entre deux personnes consentantes de sexes opposés. L’option pour plusieurs personnes d’élever leurs enfants en solitaire constitue aussi un indicateur que le mariage devient de plus en plus une utopie tant dans les conditions de sa réalisation que dans son vécu.

Beaucoup d’enfants issus de ces foyers grandissent donc sans présence paternelle à la maison. Le  Camerounais est-il peu enclin à reconnaître et à assurer son rôle de père ?
Le comportement du Camerounais peut être compris comme interface du comportement de la mère chef de famille. La femme, par exemple, veut un bébé, mais sans aimer le père du bébé pour certaines, et pour d’autres, pas question d’imaginer une union à vie avec ce dernier. Les cas où cette double réalité s’applique simultanément sont légion. Ainsi, le Camerounais, géniteur naturellement, est donc apte à procréer accidentellement pour les uns, de manière toute consciente pour les autres. Et pour des raisons qui varient de l’intention claire à une situation subie, ils sont nombreux qui abandonnent leur progéniture à celle qui a accouché d’elle. Et pour rester un peu sur le sujet du rôle de père, nous retrouvons dans la société camerounaise des hommes qui prennent soin de leurs enfants. D’autres ne le font pas. Quelle est la proportion la plus importante entre ces deux catégories de père ? Je me demande si nous sommes fixés sur cette question.
La société camerounaise semble indifférente au sort de ces femmes. Peu de stratégies sont mises en œuvre pour les aider, surtout sur le plan économique. Qu’en pensez-vous ?
Il y a lieu de se demander pourquoi vous focalisez votre remarque sur le plan économique. Un renforcement des moyens financiers des femmes et particulièrement des femmes chefs de ménage n’est pas la solution. A la rigueur, on peut admettre que c’est un palliatif qui pourrait alléger les souffrances auxquelles les enfants sont exposés. Normalement, il faut une approche globalisante au problème. Par exemple, les pôles des pouvoirs dans nos familles pourraient penser à conjurer en eux et autour d’eux les abus et les dérives qui font du mariage dans notre société une aventure ambiguë, voire un voyage périlleux. De même, les jeunes doivent réapprendre à vivre selon les réalités propres de leur société, et selon des principes qui garantissent les bonnes mœurs, l’ordre et le bien-être dans la société.
 Propos recueillis par E.K.

Les femmes seules peuvent-elles bien s’occuper de leurs enfants ?
Une femme seule peut-elle bien s’occuper de ses enfants ?
« Le père est important »
Gallus Essomba, étudiant
 A mon humble avis, une femme qui s’occupe seule d’un ou de plusieurs enfants aura toujours des difficultés pour assurer l’éducation de ses enfants. Notamment en ce qui concerne la discipline. Chez nous le père symbolise l’autorité. Un bon père sait comment  mettre un frein au débordement d’un enfant ; il sait mieux faire régner la discipline au sein de la famille. Nos mères sont souvent plus douces, plus tendres. Elles cèdent plus facilement aux demandes ou caprices des enfants. Du coup certains  prennent des mauvaises habitudes. Pour moi, une présence masculine  est importante pour aider l’enfant à bien grandir.
« Elle transmet des valeurs »
 Rebecca Ntolo, délègue départementale au Minproff, Mfoundi
 Oui, une femme peut valablement  s’occuper de ses enfants et faire d’eux des adultes responsables.  Ceci parce que la femme a toujours été le pilier  de la famille. Même dans les familles traditionnelles, c’est à elle qu’il revient de gérer le foyer. Lorsqu’elles n’ont pas un emploi stable,  elles trouvent toujours une activité (commerce) pour avoir de l’argent. Elles réussissent à envoyer les enfants à ‘école, à l’université. Une femme seules peut transmettre des valeurs comme le respect des ainés, l’amour du travail bien fait, la débrouillardise.  Pour s’en rendre compte, il suffit d’en parler avec des gens.  Nombre d’entre eux vous diront : c’est ma mère qui m appris à faire la cuisine, à repasser, etc.
 E.k

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