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Hommage planétaire à Manu Dibango






pART 2 : Hommage de l'intelligencia et hommes de Lettres 



LE NEGROPOLITAIN VOUS DIT ADIEU
Tout le monde en parle. Et à juste titre. L’homme aux mille vies a choisi cet étrange moment pour s’eclipser, nous laissant à nous-mêmes, à nos turpitudes et à nos lâchetés, apres nous avoir accompagné pendant si longtemps. Né au Cameroun, c’est en réalité le monde qui aura été son pays. Son saxophone en bandoulière, il l’aura arpenté de long en large, animé par le fou rêve d’en habiter tous les recoins. Simultanément. C’est parce que, au fond, il était possédé par un mignon démon, le démon de la curiosité. Du haut de sa taille altière et de son immanquable crane reluisant, Dibango était un laboratoire ambulant. Il ne cessa jamais d’apprendre. Il laisse derrière lui une oeuvre à la fois gigantesque et ineffaçable. Elle est un don non à un pays, mais au monde tout entier, qui fut sa véritable famille, et qui sut l’accueillir et lui offrir l’hospitalité dont il avait besoin pour creer. Puisse-t-il, à present, conserver l’héritage que nous laisse celui-là qui, il était une fois, se définissait lui-même comme un “Negropolitain”.
 Achille Mbembe 

Solaire..
Je l’ai vu c’était à Cajarc, il devait donner un concert à la fin du festival culturel, il n’a pas pu car il a plu.
Moi j’avais ameuté les troupes « Comment vous ne connaissez pas Manu Dibango? Mais vous vivez sur quelle planète? Venez ce soir, vous verrez, il est grandiose...Il est camerounais saviez-vous? Et nous venons de la même ville. C’est mon grand-frère... »
Le concert a été annulé et nous bavardions un peu avant son départ. Je n’écoutais pas ce qu’il me disait. Son accent me faisait rire:
« Toi tu as fait le tour du monde et rien à faire, tu n’arrives pas à te débarrasser de ton accent de voyou de Deïdo? »
Son grand rire, tête baissé puis renversé en arrière : Ayo é, mbana loba éé, tu dis que quoi? Vraiment toi l’enfant ci hein...
Manu, ton rire manque, ta tête en forme d’Afrique manque, ton regard, tes dents qu’on connaît tous par cœur, tout toi manque déjà si fort.
Tu jouais tous les instruments, piano, guitare, balafon...Tu touchais n’importe quoi, tu en faisais de la musique. Et tu as choisi le saxo, sans doute l’instrument de musique le plus beau, le plus élégant au monde, celui qui te ressemblait le plus.
Quand mon grand père paternel est décédé, je devais avoir 13 ans par là. Le jour des obsèques, il pleuvait terriblement. Mon autre grand père a dit en regardant le ciel « Moto a tso sié a » avant de secouer la tête avec tristesse « quelqu’un nous a quittés »
Aujourd’hui j’ai appelé mes parents comme tous les jours en ces temps de Coronavirus. Ma mère m’apprend qu’il pleut des cordes depuis hier à Douala. Et elle dit, « c’est normal quelqu’un nous a quittés ». Et mon père de façon complètement contradictoire ajoute « c’est l’homme qui rentre à la maison. »
Oui, Manu c’était quelqu’un et il est rentré à la maison.
Il a fait sa part avec fougue, talent, générosité et il nous laisse sa musique. Sa part de transmission. Ai-je dit solaire?
Hemley Boum, écrivaine 


SILENCE MUSICAL
On n’entendra plus son rire gras…mais, le silence musical qui suit, restera toujours de lui…
Manu Dibango (1933-2020)
Joseph Owona Ntsama, chercheur, critique d'art


Adieu à Manu Dibango, l'homme-souffle !



Je viens d'apprendre la mort de Manu Dibango, ce long, longiligne et vibrant humain dont le prolongement naturel était le saxophone. C'était son stylo à lui, son micro, son crayon, son transistor en forme de "S" incliné qui lui a servi de porte-voix, de porte-son, de porte-plume, de ventre fécond, de porte ouverte au meilleur des langages parmi les humains dont il se disait le concierge. Je me souviens de sa présence, de notre première rencontre à l’initiative de Jean-Noël Schifano, grâce aux éditions Gallimard, lors d'une mémorable soirée de Continents Noirs organisée à la Maison de l'Amérique latine à Paris. C'était en 2002, je crois, et Manu Dibango nous a réjouis et émerveillés. Sa jovialité naturelle, son rire sonore et de contralto, son sourire bienveillant, sa faculté à illuminer et à se fondre avec les autres l'avait déjà établi, de Douala à Lagos, d'Abidjan à Bamako, de Johannesburg à Alger, de Naples à Tokyo, de Paris à Pékin, de Bombay à New-York, frère aîné, oncle, père, grand-père inoxydables et aimés.
Son instrument favori le saxophone, après l’orgue et le piano, était le lien, donnait le ton, faisait resplendir le « Wakafrica », c’est-à-dire le sens et la vitalité qui surgissent du ventre de la terre ancestrale pour donner souffle, cadence, offrande et élan. En apprenant la disparition de Manu, je suis évidemment triste et bouleversé. Hier, Madeleine Petrasch et moi avons parlé de lui. Et Mado, cette dame de cœur de quatre-vingt-quatre ans, qui vit à Perpignan, cette vieille dame qui a vu tant d'artistes et de célébrités, m'a confié ce mot de Manu, leur unique échange, il y a 20 ans : "Nous sommes plus proches, toi et moi, que tu ne l'imagines." Ce mot vaut pour chacun. Manu Dibango le lui a dit après son concert, alors qu'elle s'était glissée dans la cohue de ceux qui se pressaient vers la loge du saxophoniste pour le congratuler et saluer l'auteur non seulement de "Soul Makossa", mais aussi de Goro City, mais encore de "Soir au village"...
Manu est parti et la nuit est tombée sur le village planétaire. Le virus qui nous éprouve et tue, exige désormais la distanciation sociale, c’est-à-dire le confinement, ce qui signifie la séparation des humains pour éviter la mort en série. Il faut constituer en toute vitesse une barrière sanitaire par l’isolement et la réduction de la liberté d’aller et de venir. C'est éprouvant. Mais il le faut, car cela ne durera qu'un temps, que nous espérons le plus bref possible. Il est des distances irréparables : celles qui séparent les vivants et les morts. Manu Dibango et toutes les victimes d'ici ou d'ailleurs, les soignants foudroyés dans l'exercice de leur métier ou les anonymes, auront-ils leurs noms sur des monuments ou sur des stèles du souvenir pour que nous nous souvenions de la tragédie du coronavirus ? Il n’y a plus de pleureuses ou de pleureurs pour accompagner les chers disparus. Les rassemblements sont limités et les adieux aux disparus impossibles. Peut-être que nos écrits, nos réactions sur la toile, nos bougies twittées, nos clics et nos émoticônes seront-ils des linceuls de papier et des monuments funéraires en hommage à ceux que le hasard et l'infortune ont terrassés ? Les carences sanitaires, les poignées de mains innocentes ou les myopies des gouvernants ont livré le monde à la cruauté bactérienne. Malgré l'effroi et l'angoisse, il nous reste l'irréductible mémoire des émotions et des imaginaires. J’ai écrit à mon éditeur et confident, à l’ami de tous les instants, Jean-Noël Schifano, pour partager le deuil et les désarrois. Son énergie fédératrice et toujours neuve m’a invité à poursuive la circularité du témoignage et du souvenir autour de Manu, autour des Italiens, autour des Chinois, autour de l’humanité en flammes et des humains en détresse. Chaque goutte d'encre sera semblable à chaque larme pour transmettre le message. Nous devons songer aux collecteurs de ces témoignages pour qu’ils soient le réceptacle de la grande fraternité, de l’immense sororité qui fera le pont, qui reliera toujours ceux qui sont vivants et ceux qui sont partis.
"Idiba", l'aube, qu'ont su si bien ouvrir et chanter Manu Dibango comme Francis Bebey, s'est affaissée. Les couleurs du ciel n'avaient pas ce matin le flamboiement qui enchante les réveils. Le ciel est bas dans les Cévennes. Il va neiger demain, prévient la météo. Il neige déjà dans nos âmes glacées avant la chute des flocons. Le cœur de Manu s'est éteint. Mais Manu, qui ne bronche pas, restera Dibango : L'homme-souffle, le musicien qui a slamé de la terre au ciel pour le groove universel.
 Eugène Ebodé, écrivain 

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