Elisabeth Atangana : « L'agriculture est l'avenir de l'Afrique et les femmes un maillon fort de ce secteur »
Ambassadrice de la
FAO et présidente des organisations du secteur agricole comme la PAFO et le
Forum des Agriculteurs panafricains, Elisabeth Atangana est sans doute,
celle-là qui, incarne la lueur d’espoir pour de nombreux agriculteurs tant au
Cameroun qu’à l’extérieur. Pour cette dame de caractère, entre ses activités
quotidiennes et sa vie de fermière, il n’existe aucune entorse ; la
preuve : elle s’exprime ici sans détour en donnant son avis tout azimut, sur la question de l’agriculture qui
lui est si chère.
Agricultrice il y a une trentaine d’années, vous êtes
aujourd’hui Ambassadrice spéciale de la FAO et présidente de deux
Institutions : la Plateforme panafricaine des Organisations (PAFO) et le
Forum des Agriculteurs panafricains. Comment êtes-vous arrivée là ?
Tout d’abord, je
suis fille de paysan et tout ce que j’ai pu faire, c’est sur la base du
résultat du travail des paysans et des paysannes. C’est par rapport à cela que
j’ai pu décider de vouloir me consacrer à l’accompagnement des ruraux d’une
manière générale et également, de faire le plaidoyer pour l’amélioration de
l’environnement rural ceci, pour que leur travail soit moins pénible et qu’il y
ait une juste rémunération à leurs efforts.
La femme représente 60% sur les 70% de la population active
de la sous-région Afrique Centrale, vivant de l’agriculture familiale. Est-ce à
dire que les femmes sont bonnes pour les champs ?
Dire que les
femmes sont bonnes pour les champs, c’est comme si l’activité agricole était
minorée. Or, c’est un métier comme tous les autres, malheureusement pas
valorisé. Et ce métier a d’autant plus de valeur qu’il sert à nourrir la
population. Il sert également à créer des revenus qui permettent aux gens de
vivre, de subvenir à leurs besoins de santé, d’éducation, d’habitat et même la
gestion des ressources dans leur environnement, dans leurs familles. C’est un
métier qui mérite d’être reconnu. La femme rurale se retrouve notamment
beaucoup plus dans le secteur de la production vivrière mais on la retrouve
également dans le secteur de la production de rente puisque généralement, les
plantations sont animées par les femmes et les enfants. C’est vrai que les
richesses reviennent aux hommes mais la majorité du travail se fait avec les
femmes. Dans la production vivrière, les femmes sont majoritaires parce
qu’elles sont les premières qui s’occupent de l’alimentation des familles et
donc, elles se retrouvent beaucoup plus nombreuses dans le secteur agricole.
Comment sortir les femmes de la sous-région, de cette
agriculture plus ou moins réductrice, celle de la subsistance et les faire
rejoindre les grands projets agricoles ?
Sortir la femme de
l’agriculture de subsistance est notre lutte aujourd’hui. L’agriculture par le
passé, n’a pas bénéficié de beaucoup d’investissements et c’est pour cela que
l’on pense que l’agriculture familiale est réductrice tout simplement parce
qu’elle n’a pas eu les mêmes capitaux que l’agriculture d’entreprise, si on
peut l’appeler ainsi. Notre lutte aujourd’hui, consiste à accroitre les investissements
pour améliorer la quantité et la qualité de production et qu’il y ait également
une valeur ajoutée au travail que la femme réalise pour que cela puisse générer
plus de revenus. C’est pour cela que nous nous investissons dans le plaidoyer
visant l’accroissement des budgets nationaux pour accroître les investissements
en direction de l’agriculture familiale. Il
faut changer l’image de l’agriculture ; c’est là l’objet de notre lutte
pour qu’elle cesse d’être une agriculture de subsistance mais plutôt, une
agriculture d’entreprise qui permet un business où les gens peuvent gagner de
l’argent et où les gens peuvent être respectés.
Quel impact en tant que femme, impulsez-vous pour améliorer
la condition de la femme rurale ? Par ailleurs, à quoi consiste votre
travail au quotidien ?
En tant que femme,
j’ai une famille à ma charge. Je continu à travailler dans ma ferme parce que
vous avez dit que je l’ai fait il y a 30 ans ; je continu à le faire et ça
fera bientôt 36 ans. Je vis dans ma ferme. Elle est basée à Nkolmefou I sur la
route de Nsimalen, à une trentaine de kilomètres de Yaoundé. Là-bas, je mène
mes activités au quotidien. En dehors de ces activités qui me concernent
personnellement, je m’investis dans l’accompagnement des groupes ;
d’abord, les groupes de base qu’on a appelé au Cameroun, des Gic mais
aujourd’hui, nous sommes dans la transformation en coopératives pour nous
arrimer à la nouvelle loi de l’acte uniforme de l’Ohada relative au droit des
affaires concernant les coopératives. A ce niveau là, j’accompagne les groupes
à travers l’information, l’éducation et la sensibilisation. Je travaille avec
une équipe pour élaborer des projets en destination de ces groupes pour
améliorer leurs conditions de travail. Nous intervenons également au niveau
national dans le but de renforcer les capacités des leaders des organisations
pour qu’elles deviennent de véritables entreprises d’où l’option de la
formation. Nous avons crée un centre de formation des jeunes entrepreneurs
agricoles et dans ce centre, nous assurons la formation et l’insertion des
jeunes dans le secteur agricole. Nous formons des femmes pour développer les
capacités d’autonomisation et de développement entrepreneurial de ces
dernières. Nous accompagnons des organisations paysannes pour le renforcement
de leurs capacités institutionnelles ceci, pour qu’elles deviennent des outils
qui rendent des services à la base. Grosso modo, mon travail se situe à trois niveaux :
notamment à la base, au milieu c’est-à-dire, au niveau des organisations
intermédiaires et enfin, au niveau de la sous-région Afrique Centrale où nous
accompagnons les organisations nationales dans la mobilisation des ressources
pour aider les gouvernements à intervenir dans le secteur agricole.
L’agriculture camerounaise subit de plus en plus l’invasion
des étrangers, des asiatiques pour la plupart qui, s’accaparent des terres
arables au détriment des villageois. On a même assisté à de vives tensions.
Comment palier ce problème ?
C’est un secteur
assez délicat. La terre est une ressource capitale pour les populations. C’est
une question du ressort du gouvernement de la République du Cameroun. Il faut avoir une prospective dans la préservation des
ressources nationales pour que les jeunes générations puissent également
trouver des terres pour développer des emplois et des entreprises agricoles.
Alors, c’est le lieu d’interpeller le gouvernement qu’au moment où il attribue
des espaces à des Institutions qui peuvent développer des agro-business dans
notre pays, qu’il ait le souci de la préservation des droits des communautés.
Et c’est là que nous appelons à la transparence, appliquer les directives
volontaires de la FAO dans le secteur foncier et appliquer également les
directives du cadre de gestion foncière de l’Union africaine pour que ces
attributions faites par les gouvernements se font dans le respect des droits
humains. Ceci en pensant à la jeune génération qui aura besoin d’investir plus,
d’investir mieux pour pouvoir vivre décemment dans le pays au lieu de
s’expatrier pour aller travailler ailleurs. La gestion de la question foncière
est très importante. A notre niveau, nous éduquons nos communautés à la
sécurisation foncière, sécuriser par l’investissement. Nous faisons le
plaidoyer en direction de l’Etat pour renforcer notre position. Il faut que les
pays investissent pour mieux assurer la sécurité et la souveraineté
alimentaires pour que nous ne soyons pas dépendants des autres qui viennent prendre
ces terres et les valorisent à leurs profits. Ces terres devraient produire
pour nourrir nos communautés et également, permettre l’allègement de la balance
de paiement qui est déficitaire dans notre pays.
Des agriculteurs affirment que les subventions agricoles se font à tête
s chercheuses. Que faut-il faire pour obtenir des financements ?
La question de
financement est également capitale comme celle de la terre. Les gens ont la
force du travail, ils se mettent ensemble, ils s’organisent mais sont souvent
bloqués parce qu’ils n’ont pas assez de capital et c’est pour cela que nous
pensons également que le soutien de l’Etat est et reste encore indispensable.
Est-ce que les paysans accèdent aux financements ? Je dois dire qu’il y a
des préalables, il faut une bonne organisation. A ce sujet, nous avons fait des
avancées considérables. Ce qui est sûr, c’est que les résultats ne sont pas
ceux que nous attendons toujours mais il y a quand même une évolution. Ce que
nous conseillons aux communautés, c’est de s’organiser en coopératives parce
que c’est la coopérative qui a la capacité de négociation avec l’Etat, les
partenaires au développement et même les Ong. Sur ce point précis, je dirai
qu’il y a beaucoup d’efforts à faire parce que ce n’est pas l’Etat qui structure,
c’est les gens qui se mettent par eux-mêmes ensemble pour mettre en place les
coopératives. Le rôle de l’Etat, c’est de canaliser cet effort pour que la coopérative
se gère de manière professionnelle, de manière transparente, de manière
démocratique et qu’elle puisse apporter des réponses adaptées aux membres. Il y
a donc un besoin d’accompagnement de l’Etat à ce niveau là.
Au fait, où en est-on par exemple avec le projet de la
Banque agricole qui devrait être fonctionnelle depuis 2013 ?
La Banque a été
annoncée. Nous pensons qu’il est nécessaire que le gouvernement mette la banque
en question sur pied parce que les systèmes de micro-financement qui existent,
ne sont pas souvent adaptés au financement du secteur de l’agriculture, un
secteur à risques et qui demande un type spécifique de financement pour répondre
effectivement aux besoins des communautés. Nous souhaitons faire avancer le
secteur agricole par le développement des ressources humaines, par le
développement des équipements adaptés mais aussi, par la mobilisation des
capitaux nécessaires pour la professionnalisation du secteur agricole. Nous
comptons ainsi assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle mais aussi et
surtout la souveraineté alimentaire. J’insiste dessus parce que nous pouvons
utiliser les productions d’ailleurs mais nous ne devons pas être totalement
dépendants des productions extérieures.
Depuis quelques temps au Cameroun, on parle d’agriculture
de seconde génération. Est-ce que cela peut justement permettre la sécurité
alimentaire ?
Le Président de la
République a lancé le concept de l’agriculture de second
e génération. Il est important pour tous les acteurs du domaine agricole (ministères, organisations paysannes, bailleurs de fonds…), de s’approprier ce concept. Aux seins de la Cenope et de la Propac, nous avons organisé une rencontre de réflexion en janvier 2014 pour effectivement nous accorder sur la conception de ce groupe de mots et sur l’harmonisation de sa compréhension. Nous avons pensé qu’il est important car, il est tout simplement besoin de sortir notre agriculture de la subsistance. Il est besoin de professionnaliser notre agriculture et il est question de développer des chaînes de valeur qui permettent de créer de la valeur ajoutée à nos productions et d’améliorer la balance de paiement en produisant par exemple, plus de produits d’exportation. En produisant par ailleurs plus et mieux des produits alimentaires pour que nous puissions nous-mêmes nous nourrir tout en créant des richesses pour transformer notre environnement et sortir de la pauvreté. Cela ne veut pas dire qu’on doit seulement s’occuper de ceux qui ont les grandes plantations. Les exploitations agricoles familiales doivent aussi bénéficier des investissements pour se transformer et devenir plus viables, plus rentables et créer des richesses. C’est cela que nous appelons agriculture de seconde génération.
e génération. Il est important pour tous les acteurs du domaine agricole (ministères, organisations paysannes, bailleurs de fonds…), de s’approprier ce concept. Aux seins de la Cenope et de la Propac, nous avons organisé une rencontre de réflexion en janvier 2014 pour effectivement nous accorder sur la conception de ce groupe de mots et sur l’harmonisation de sa compréhension. Nous avons pensé qu’il est important car, il est tout simplement besoin de sortir notre agriculture de la subsistance. Il est besoin de professionnaliser notre agriculture et il est question de développer des chaînes de valeur qui permettent de créer de la valeur ajoutée à nos productions et d’améliorer la balance de paiement en produisant par exemple, plus de produits d’exportation. En produisant par ailleurs plus et mieux des produits alimentaires pour que nous puissions nous-mêmes nous nourrir tout en créant des richesses pour transformer notre environnement et sortir de la pauvreté. Cela ne veut pas dire qu’on doit seulement s’occuper de ceux qui ont les grandes plantations. Les exploitations agricoles familiales doivent aussi bénéficier des investissements pour se transformer et devenir plus viables, plus rentables et créer des richesses. C’est cela que nous appelons agriculture de seconde génération.
Si on revenait un peu à vous, le fait d’avoir été une
agricultrice et aujourd’hui d’occuper de si hautes fonctions ne vous a pas un
peu embourgeoisée ? Trouvez-vous encore du temps pour aller au
champ ?
J’aurai souhaité
que vous soyez venus chez moi. De retour de mon dernier voyage, je suis allée
dans mon champ pour y planter du haricot parce que la semence, il faut la
renouveler. Lorsque nous allons pour transférer des innovations à l’extérieur
parfois, nous avons besoin nous-mêmes, de les pratiquer au préalable parce que
les partager sans les avoir expérimenté,
peut conduire à un éventuel échec. Ma ferme doit servir d’exemple. J’élève les
porcs depuis 36 ans. Je produis de la banane pour recycler, nourrir mes porcs
et vendre quelques-unes… Je produis du maïs, du haricot et des légumes dans ma
ferme. Je continu à mener ma vie comme je l’ai toujours mené. Maintenant,
est-ce que je me suis embourgeoisée ? Est-ce qu’il y a de l’argent que
j’ai reçu, qui aurait pu m’embourgeoiser ? Non. Il y a certes de l’argent
que nous recevons mais il est destiné aux projets. La production que j’ai chez
moi dans ma ferme, me permet de vivre décemment.
Pourquoi avoir fait le choix de militer dans ce domaine qui
ne semble pas être le moins ardu ?
C’est un domaine
effectivement difficile qui nécessite d’abord la volonté mais aussi la vision.
Je me suis engagée par vision parce que j’estime que le domaine agricole, c’est
le domaine de demain. C’est le domaine qui peut promouvoir des emplois
durables, c’est le domaine qui peut être sur la base d’une industrialisation
qui peut permettre la transformation des produits agricoles et qui peut créer
des emplois. C’est un domaine d’avenir. Lorsque nous allons dans les pays
étrangers lors de nos voyages d’échanges, nous voyons que ce qui marche bien,
c’est les restaurants, c’est la nourriture, c’est la boisson. Cette boisson
vient généralement du maïs, du manioc, de la tomate etc. Le domaine de
l’agriculture est un domaine prometteur. M’investir dedans, c’est contribuer à
nourrir mon peuple, contribuer à créer des emplois, contribuer à la gestion
durable de l’environnement.
Propos
recueillis par Elsa Kane Njiale et Jean-Christophe Ongagna Olaga.
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