Cinéma.
Entre drame personnel et histoire politique, « Une feuille dans le vent » de
Jean-Marie Teno montre comment les séquelles d’un passé jamais enfuit a détruit la fille du nationaliste Ernest Oaundié.
Jean-Marie Teno est
sans aucun doute l’un des plus grands documentaristes du Cameroun et de l’Afrique.
Son génie à lui c’est d’aborder les
sujets hautement sensibles sous un angle inédit. Le spectateur qui regarde ses
films ne se sent jamais étranger aux événements qui y sont relatés. Ceci se vérifie avec « Une feuille dans le vent » projeté le 25 juillet à la librairie des peuples noirs
à Yaoundé.
Le documentaire est le résultat
de sa rencontre en 2004 avec la fille d’Ernest Ouandié, le nationaliste exécuté
le 15 janvier 1971. Ernestine est née en 1961 au Ghana de l’amour de ce dernier avec une jeune nigériane.
Abandonnée à 10 ans par cette mère qui ne s’est jamais remise du retour de son
ami au Cameroun, Ernestine sera recueillie
par une tante. Cette dernière la transforme très vite en bonne à tout faire. «Je travaillais pour quatre des jours sans manger. Je dormais à la cuisine
à même le sol avec un pagne pour seul vêtement », raconte-t-elle, amère. Un
calvaire qu’elle endure des années jusqu’à
ce qu’une camerounaise de passage chez sa tante ait pitié d’elle. Avec l’aide de la communauté camerounaise au Ghana qui se constitue en parent collectif,
elle est enregistrée au Hcr et peut enfin quitter le Ghana.
En 1987, Ernestine Ouandié débarque au Cameroun avec la ferme intention d’oublier son enfance misérable. « Je
voulais savoir qui était mon « salaud » de père », confie-t-elle.
Mais au tour d’elle, c’est le silence. Les visages se ferment, les portent
claquent chaque fois qu’elle pose des questions.
« Ça fait très mal de
n’avoir personne vers qui se tourner pour alléger cette souffrance », avouera-t-elle
à Jean-Marie Teno. Seule contre tous, Ernestine est comme une feuille dans le vent,
ballotée par les vents contraires, qui ne sait où elle va parce qu’on l’empêche
d’accéder à une vérité qu’elle a pourtant le droit de savoir. Las et meurtrie, elle finira par se donner la
mort en 2009.
Un film bouleversant, d’une
rare force sur les séquelles laissées par la colonisation. Pour souligner cette intensité, Jean-Marie Teno entremêle
photos d’archives sur la guerre de l’indépendance, dessins et plans fixes d’Ernestine Ouandié. On la voit assise sur une véranda vêtue d’un ensemble pagne, les cheveux tressés.
Sa voix est posée mais les longs silences
qui ponctuent ses phrases en disent long sur sa souffrance morale.
Elsa Kane
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