Familles. Veuves, divorcées, célibataires, elles doivent seules répondre
aux besoins affectifs, financiers,. Certaines n’ont pas de revenus et doivent
parfois composer avec le regard critique de la société.
Pendant que les enfants avalent
rapidement leur bouillie de maïs, Valérie en profite pour prendre une douche et
se préparer pour le travail. Puis tout ce petit monde s’en va pour la journée.
Dans la maison, aucune présence masculine n’est visible. « Je vis seule
avec mes trois enfants », explique Valérie d’une voix posée.
Veuve depuis 14 ans, Valérie est vendeuse ambulante d’ananas.
C’est de cette activité qu’elle tire l’essentiel de ses maigres revenus. A la
mort de son mari en 2000, la quadragénaire
et les siens ont dû quitter le deux-pièces qu’ils louaient pour une habitation
encore plus modeste. En fait de maison,
il s’agit d’un studio fait de planches. La maman partage l’unique chambre avec
sa fille et ses deux garçons. Les toilettes à la turque sont situées à l’extérieur.
Valérie est chef de famille. C’est elle qui a la charge de ses trois enfants.
Des battantes
Son histoire n’est pas un cas
isolé. Alors que le Cameroun s’apprête à célébrer la fête des mères de concert
avec la communauté internationale, le sort des mères chefs de famille
préoccupe. D’après le rapport 2011 de l’enquête démographique et de santé et à indicateurs
multiples (Eds-Mics), le Cameroun
comptait à cette date 26% de mères seules. Le phénomène ne cesse d’augmenter et
est très courant en zone urbaine. L’Eds-Mics
précise à cet effet que la proportion des femmes chefs de ménage est
passée de 23,8% à 25, 6% entre 2001
et 2008.
Si 87% de ces femmes sont actives, il reste que la vie n’est pas du tout
rose pour elles.
Photo d'archives |
Pour Rose Wenci, la rentrée scolaire et les fêtes
de fin d’année sont par exemple des
périodes de grand stress. « A la mort de mon mari, je me suis
retrouvée avec 6 enfants dont le plus jeune avait 2 ans. A l’époque,
je m’en sortais quand même grâce à mon travail d’institutrice. Mais depuis 7
ans, je suis à la retraite. Je me bats avec ma petite pension-retraite »,
explique Rose qui regrette de ne plus
avoir la force de ses 20 ans pour se livrer à
d’autres activités. Une option qu’Anne Tioyo, 38 ans, n’a pas hésité à
prendre. La fonctionnaire s’est lancée
dans la confection des draps qu’elle revend aux amis et connaissances. L’argent
ainsi gagné sert à payer la scolarité, les loisirs, les vêtements aux enfants. Cours d’anglais au centre pilote
linguistique, abonnement dans les
bibliothèques, elle ne lésine sur aucun moyen pour offrir le meilleur à ses enfants. « Ils
vont dans de bonnes écoles. Je veux qu’ils aient une vie normale comme les autres», explique la chef de famille
qui ne veut surtout pas échouer dans
l’éducation de ses enfants.
Certaines femmes seules, par peur d’être traitées de
mauvaises mères, s’investissent énormément dans l’éducation des enfants. Et
quand survient un obstacle, elles le vivent comme un échec personnel. C’est le
sentiment qui a longtemps accompagné
Jacqueline, mère de 4 enfants (2 filles
et 2 garçons), tous adultes aujourd’hui. « A un moment donné, je me suis
retrouvée avec des adolescents en pleine crise qui me questionnaient parfois
sur notre situation. Mon deuxième fils a été le plus rebelle. Il s’est mis à
faire l’école buissonnière malgré l’intervention de ses oncles », raconte
Jacqueline qui se sent toujours un peu
coupable de cette dérive. Un sentiment largement partagé par certaines mères.
Il arrive qu’une tension survienne dans la famille parce qu’elles doivent
répondre seules à plusieurs demandes
affectives et financières.
« Plus jeune, j’avais
tendance à comparer notre rythme de vie à celui des autres en pensant que ma
mère ne faisait pas assez. Un jour, j’ai compris que ce n’était pas facile pour
elle. En plus de son travail, de ses activités sociales, de son rôle d’aînée de
la famille, elle devait surveiller nos devoirs, nous redonner confiance en cas
de doute, essuyer nos chagrins, veiller sur nous pendant la maladie, se
transformer en mère fouettarde en cas de bêtises, etc. J’ai compris que ma mère
c’est aussi mon père», raconnaît Ségolène, 30 ans, qui a pris conscience sur le
tard que sa mère a dû renoncer à
des opportunités comme refaire sa vie pour l’aider à grandir.
Tu sors encore ?
Confrontées à un rythme de vie intense ou par peur de
briser un équilibre familial acquis au prix de nombreux sacrifices, certaines
mères seules renoncent parfois à refaire
leur vie ou alors vivent des amours compliquées. Anne Tioyo a bien
essayé : «Mais à force d’entendre des “tu sors encore?”, j’ai mis un terme
à ma relation. Pour autant, je n’ai pas
encore mis une croix sur ma vie de femme », dit-elle. Contrairement à Jacqueline qui ne souhaite plus se mettre en couple. «Depuis
10 ans, mes enfants et moi sommes bien. Ils ne manquent de rien. Nous formons une petite famille unie et
heureuse».
Elsa Kane
.“C’est parfois un choix de vie”
Mohamed Njoya Mama. Pour le sociologue,
le phénomène des mères seules traduit le changement d’une société où le
mariage n’est plus vraiment sacré.

L’augmentation vertigineuse du
nombre de familles monoparentales traduit un changement du vécu de la situation
familiale qui est désormais assumée tant par les individus que par la société
dans son ensemble. Par le passé, les
femmes se retrouvaient à la tête d’une famille suite à des déconvenues de la
vie telles que le divorce, le décès du conjoint ou encore des cas de grossesses
accidentelles. Mais tel n’est plus le cas aujourd’hui. Le phénomène de mère
chef de famille est devenu un mode de vie, un choix de vie. Remarquez que selon
nos cultures et religions, l’enfant naît dans le cadre d’une famille dont le
père et la mère sont les principales figures quotidiennes. Mais désormais, les
jeunes tout comme des personnes d’un âge relativement avancé prennent l’option
de procréer nonobstant l’inexistence d’un cadre familial, la famille nucléaire
notamment. Cependant, si l’option de la famille monoparentale s’est
généralisée, le principe de la constitution d’une famille dont le père, la mère
et les enfants sont les principaux membres n’a pas encore disparu des coutumes.
Certaines de ces femmes sont des mères célibataires.
D’autres ont vécu longtemps dans une union libre. Au regard des faits, peut-on
dire que le mariage n’a plus trop d’incidence sur la formation de la
famille ?
En effet, votre question permet
d’étayer les observations exposées plus haut. Le mariage est une union,
un engagement à vie entre deux personnes consentantes de sexes opposés.
L’option pour plusieurs personnes d’élever leurs enfants en solitaire constitue
aussi un indicateur que le mariage devient de plus en plus une utopie tant dans
les conditions de sa réalisation que dans son vécu.
Beaucoup d’enfants issus de ces foyers grandissent donc sans présence
paternelle à la maison. Le Camerounais est-il peu enclin à
reconnaître et à assurer son rôle de père ?
Le comportement du Camerounais
peut être compris comme interface du comportement de la mère chef de famille.
La femme, par exemple, veut un bébé, mais sans aimer le père du bébé pour
certaines, et pour d’autres, pas question d’imaginer une union à vie avec ce
dernier. Les cas où cette double réalité s’applique simultanément sont légion.
Ainsi, le Camerounais, géniteur naturellement, est donc apte à procréer
accidentellement pour les uns, de manière toute consciente pour les autres. Et
pour des raisons qui varient de l’intention claire à une situation subie, ils
sont nombreux qui abandonnent leur progéniture à celle qui a accouché d’elle. Et
pour rester un peu sur le sujet du rôle de père, nous retrouvons dans la
société camerounaise des hommes qui prennent soin de leurs enfants. D’autres ne
le font pas. Quelle est la proportion la plus importante entre ces deux
catégories de père ? Je me demande si nous sommes fixés sur cette
question.
La société camerounaise semble indifférente au sort de ces femmes. Peu
de stratégies sont mises en œuvre pour les aider, surtout sur le plan
économique. Qu’en pensez-vous ?
Il y a lieu de se demander
pourquoi vous focalisez votre remarque sur le plan économique. Un renforcement
des moyens financiers des femmes et particulièrement des femmes chefs de ménage
n’est pas la solution. A la rigueur, on peut admettre que c’est un palliatif
qui pourrait alléger les souffrances auxquelles les enfants sont exposés.
Normalement, il faut une approche globalisante au problème. Par exemple, les
pôles des pouvoirs dans nos familles pourraient penser à conjurer en eux et
autour d’eux les abus et les dérives qui font du mariage dans notre société une
aventure ambiguë, voire un voyage périlleux. De même, les jeunes doivent
réapprendre à vivre selon les réalités propres de leur société, et selon des
principes qui garantissent les bonnes mœurs, l’ordre et le bien-être dans la
société.
Propos recueillis par E.K.
Les femmes seules peuvent-elles bien s’occuper de leurs enfants ?
Une
femme seule peut-elle bien s’occuper de ses enfants ?
« Le
père est important »
Gallus Essomba, étudiant
A mon humble avis, une femme qui s’occupe seule
d’un ou de plusieurs enfants aura toujours des difficultés pour assurer
l’éducation de ses enfants. Notamment en ce qui concerne la discipline. Chez
nous le père symbolise l’autorité. Un bon père sait comment mettre un frein au débordement d’un
enfant ; il sait mieux faire régner la discipline au sein de la famille.
Nos mères sont souvent plus douces, plus tendres. Elles cèdent plus facilement
aux demandes ou caprices des enfants. Du coup certains prennent des mauvaises habitudes. Pour moi,
une présence masculine est importante
pour aider l’enfant à bien grandir.
« Elle
transmet des valeurs »
Rebecca Ntolo, délègue départementale au
Minproff, Mfoundi
Oui, une femme peut valablement s’occuper de ses enfants et faire d’eux des
adultes responsables. Ceci parce que la
femme a toujours été le pilier de la
famille. Même dans les familles traditionnelles, c’est à elle qu’il revient de
gérer le foyer. Lorsqu’elles n’ont pas un emploi stable, elles trouvent toujours une activité
(commerce) pour avoir de l’argent. Elles réussissent à envoyer les enfants à
‘école, à l’université. Une femme seules peut transmettre des valeurs comme le
respect des ainés, l’amour du travail bien fait, la débrouillardise. Pour s’en rendre compte, il suffit d’en
parler avec des gens. Nombre d’entre eux
vous diront : c’est ma mère qui m appris à faire la cuisine, à repasser,
etc.
E.k
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